Ovidiu Stanciu, “L’insoutenable monisme. Kojève, Heidegger et l’idée d’une ontologie dualiste”. In: Philosophie 156 (1) 2023

L’exigence sous laquelle se place le projet philosophique de Kojève et qui détermine tant son enseignement à l’École Pratique des Hautes Études que ses méditations solitaires et clandestines (mais tout aussi ambitieuses), consignées dans les nombreux manuscrits de recherche rédigés après la fin du Séminaire, est celle d’accomplir une répétition de la philosophie de Hegel. Cette caractérisation ne renvoie pas seulement à la manière extérieure dont son discours se présente, au fait qu’il assume souvent l’allure d’un commentaire ou d’une paraphrase des écrits hégéliens, mais elle a trait à son contenu le plus propre et à son nerf le plus intime. En se penchant sur l’œuvre de Hegel, Kojève ne cherche pas à adjoindre une pièce manquante à l’édifice du Système du Savoir ou à l’intégrer dans un ensemble plus vaste ; il n’essaie pas non plus d’extraire un « impensé » enfoui dans cette œuvre, ou de l’utiliser comme un tremplin pour l’élaboration d’une position originale. Son propos consiste uniquement à « re-dire… tout ce que Hegel avait déjà dit ». La démarche de Kojève a donc l’aspect paradoxal d’un grandiose et obstiné effort visant à l’abolition de soi : elle serait tout entière vouée à s’effacer derrière l’œuvre qu’elle tâche de servir, à disparaître sans trace dans l’ombre du maître qu’elle révère.

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